Du côté du web n° 51 du 18 décembre 2008

Info WWF
Soja : "Dans ces pays, cette culture d'exportation est un moyen de prendre position dans l'économie mondialisée, mais elle se met en place au détriment des cultures vivrières (manioc, haricots, maïs…) et des écosystèmes naturels tels la savane arborée (Cerrado) ou la forêt amazonienne. Cette dernière est une des forêts tropicales les plus riches écologiquement : on y trouve 10% des espèces de mammifères terrestres, 15% des plantes connues, et on peut trouver pas moins de 300 espèces d'arbres par hectare. Depuis 1998, 13,5 millions d'hectares de forêt amazonienne brésilienne ont déjà disparu au bénéfice de la culture du soja (soit l'équivalent de près de la moitié de la surface agricole de la France). La déforestation se poursuit au rythme de 3.7 millions d'hectares par an au Brésil, en Argentine, en Bolivie et au Paraguay.

Le développement très important de cette culture en Amérique latine a des coûts humains et environnementaux très lourds : paupérisation et exode rural dus à l'expulsion de leurs terres des paysans au profit des grands propriétaires, diminution du nombre d'emplois agricoles, main d'œuvre exploitée... La culture du soja pose également des problèmes sanitaires du fait des épandages toxiques de produits phytosanitaires, parfois par avion… De plus, la monoculture appauvrit énormément les sols. Dénudés, ils sont livrés au soleil direct, érodés par les pluies et compactés par les machines. Les ressources hydriques sont très perturbées : crues soudaines des rivières par ruissellement, ensablement, pollution de l'eau par des résidus de pesticides et d'engrais… De plus, les cultures de soja OGM sont en pleine expansion et sont déjà majoritaires dans certains pays (Argentine, Etats-Unis…).

Un Français mange en moyenne 92 kg de viande, 250 œufs et une centaine de kilos de produits laitiers chaque année, ce qui nécessite une surface cultivée en soja de 458 m² par habitant pour répondre aux besoins en alimentation animale. La France fait partie des principaux responsables de cette tragédie. Il s'agit en effet du premier consommateur européen de soja, principalement originaire du Brésil (22% du soja exporté du Brésil arrive en France !). L'état et les citoyens français sont donc en première ligne pour agir. Une initiative, toujours en cours, a été montée par le WWF, des ONGs sociales, environnementales, et l'industrie, pour définir les critères d'un soja responsable, dans le cadre d'une table ronde (Round Table on Responsible Soy)."
Contact : Alain RONGIER
Mél : alain.rongier(a)gmail.com

Ma réponse (GW) : Un lecteur brésilien de cette gazette, professeur d'agronomie dans une université du sud du Brésil est venu me dire bonjour à l'occasion d'une visite à Paris pour l'organisation d'échanges d'étudiants. Il me disait que dans sa région des dizaines de milliers d'hectares sont disponibles pour la culture en général et pour la culture du soja pourquoi pas. C'est d'autant plus stupide de déboiser inutilement l'Amazonie…
Ceci étant le discours de WWF me paraît complètement absurde vis-à-vis des brésiliens. WWF a une mentalité coloniale de gens qui vont apporter la civilisation à ces barbares de brésiliens qui ne comprennent rien à rien. Comment douter que les brésiliens ont toutes les ressources intellectuelles nécessaires et les forces sociales et politiques pour résoudre leurs problèmes ?
S'adressant aux français, le discours moralisateur de WWF ne vaut guère mieux mais nous pouvons certainement en discuter. Maintenant, je ne vois pas bien au nom de quoi je m'autoriserai à critiquer mon voisin s'il mange trop de viande !

A quoi répond M. Rongier
Sur ce point, je suis d'accord avec vous. Pourquoi détruire ce qu'il reste de forêt tropicale pour cultiver du soja, d'autant plus si des zones cultivables sont disponibles hors forêt. Mais comment votre agronome explique-t-il la situation ? Peut-être parce que les caractéristiques des sols (profondeur...) de ces régions, "gagnés (!)" auparavant sur les forêts, ne permettent pas de cultiver pendant longtemps des cultures intensives, et qu'il faut sans cesse défricher de nouvelles zones, au grand plaisir des forestiers et des divers exportateurs... jusqu'au jour où il n'y aura plus de forêt, et rapidement après plus de vrais sols agricoles. Alors qu'il serait plus responsable de prendre dès aujourd'hui les orientations nécessaires (législation, droit de douanes...), au lieu d'attendre d'arriver à une terre morte peuplée de populations de plus en plus paupérisée.
Quant au problème précis du soja, peut-être serait-il judicieux en France d'en trouver un substitut cultivable en France, au lieu d'être dépendant à ce point d'autres pays. Qu'en pense l'INRA ?
Le point qui nous sépare est que vous parlez des brésiliens, comme si cette généralisation signifiait quelque chose, en dehors des livres d'économie. Au Brésil, comme dans d'autres régions de forêts tropicales, des peuples indigènes continuent à être massacrés s'il ne recule devant le forestier qui précède les cultures agricoles, etc. (voir les rapports de Survival International, etc.).
Doit-on s'occuper de ce qui se passe chez les voisins ? Vous dites non. Je dis oui dans deux cas : doit-on ne rien dire si des massacres sont perpétrés, des hommes et femmes torturés ? Doit-on ne rien dire également si les pratiques d'un pays entrainent dans un avenir plus ou moins proche des effets négatifs sur les autres pays, donc sur nous ? Si l'on estime que le maintien d'une planète humaine passe par la sauvegarde de forêts avec la faune et la flore qui la constituent, si l'on estime que le réchauffement de la planète va déplacer des populations qu'il nous faudra gérer, si l'on estime que la pollution de l'air (ex en Chine) va avoir des répercutions au-delà de la Chine, nous avons le droit de nous exprimer et d'agir dans la mesure de nos possibilités.

Et le dialogue se poursuit (GW) : La déforestation, selon le pédologue brésilien qui m'a rendu une visite inopinée, est liée à l'exploitation éhontée du bois. Rien à voir avec le soja.
Le pb de nos braves ONG, c'est qu'elles restent bien néocoloniales et donneuses de leçons. Il ne suffit pas d'être de bonne foi.
Ce que nous pouvons faire, c'est par exemple renforcer les liens entre nos universités ou centres de recherche et ceux du Brésil (mais il y a certainement beaucoup à faire dans le secteur privé) pour des études de sols dans le sud du Brésil, ou le développement de la sylviculture en milieu équatorial : ce sera utile et pour les brésiliens et pour les européens ! Mais cessons de penser que les brésiliens (ou les chinois) sont bien pires que nous autres européens !
Quant à un substitut au soja, ce n'est pas un pb technique. A mon avis, pas plus l'INRA que nous-mêmes n'y pouvons grand-chose. C'est un pb d'organisation des marchés et un pb politique.